En attendant l'inspiration
On peut rapprocher cette douloureuse rumination post-romantique d'une autre image qui, de manière plus légère, illustre le même type de problème. Il s’agit de la photographie dans laquelle Robert Doisneau a saisi un élève de l'école primaire, les yeux levés au ciel, dans l'attente, pleine d'espoir, du moment où il en descendra la méthode lui permettant de résoudre sa division.
Ce que le poète et l'élève partagent, en fait, c'est la recherche intense des idées. Or, si on s’en tient à ce que nous montrent ces images, il est évident qu’ils ne pourront les trouver ainsi.
En effet, depuis la communication du mathématicien Henri Poincaré à la Société de psychologie de Paris, en 1908, et l’essai que Jacques Hadamard, un autre mathématicien, rédigera trente-cinq ans plus tard, on sait que l’invention, c’est-à-dire la production d’idées, nécessite un processus complexe passant par des phases successives et, parfois, contre-intuitives.
Et cela, qu'il s'agisse de science, de technique ou d'art.
*
La première phase du processus consiste à nourrir la question à laquelle on souhaite apporter une réponse, à engranger des informations, des pratiques, des expériences, à réfléchir au sujet. À explorer des pistes sans craindre de se tromper.
On peut illustrer ce moment de recherche par la photo d’un atelier d’artiste où sont accumulés documents, sources d’inspiration, esquisses préparatoires, palettes de couleurs, sans oublier ses propres tentatives infructueuses. Un atelier qui fait écho au contenu de son esprit.
Cette phase de préparation et d'incubation est indispensable pour alimenter le processus de l’invention, mais elle ne peut mener par elle seule à une idée. Rester indéfiniment à ruminer comme Le Penseur de Rodin ne mènera à rien.
Ce n’est qu'à ce moment, lorsque l’attention n’est plus focalisée sur le problème à résoudre, que les multiples éléments engrangés lors de la première étape de recherche peuvent se recombiner en nous de manière non consciente et, ainsi, faire surgir l’idée.
Ce moment d’inspiration, ou d'illumination, a souvent été représenté par une ampoule s’allumant au-dessus de la tête d’un savant, en référence à l’invention de l’ampoule électrique par le célèbre ingénieur américain Thomas Edison. Cette révélation semble aussi imprévisible et énigmatique que si l’idée tombait du ciel, était soufflée par les dieux ou les anges. C'est probablement ce qu'attend le gamin saisi par le regard affuté de Doisneau.
Mais ces idées qui surgissent de manière incontrôlable ne sont pas forcément valables. Il faut les tester, les améliorer, les enrichir de nouvelles idées. Elles sont comme une ébauche que le sculpteur doit dégrossir, modeler, et affiner pour en faire une œuvre finie.
Récapitulons : préparation et incubation, détachement, illumination, validation. Selon la formule attribuée à Edison, l’invention c’est "un pour cent d’inspiration et quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration".
Sans oublier, pour permettre aux idées de percoler vers la conscience, un peu de tête dans les nuages.
Pour en savoir plus